Paris, de notre correspondant Élie MASBOUNGI Leader nouvellement autoproclamé de l’opposition syrienne, Abdel Halim Khaddam affirme être porteur d’un projet politique de changement radical en Syrie, un changement qui, selon lui, sera effectué dans le cadre d’un mouvement, un style et une méthode démocratiques « propres à la Syrie », et que l’on ne pourra pas comparer à ce qui s’est passé en Ukraine ou plus récemment encore au Liban. L’ancien vice-président syrien a évoqué ce changement, ainsi que son audition, vendredi dernier, par la commission d’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri, sa vision des futures relations libano-syriennes, et d’autres questions intéressant son pays et l’ensemble de la région dans une interview accordée au cours du week-end à L’Orient-Le Jour, dans son hôtel particulier de villa Saïd, une rue aux issues bloquées et sévèrement gardée au bas de l’avenue Foch, dans le XVIe arrondissement de Paris. Le redoutable « Abou Jamal », qui avait lui-même mis au point et concrétisé la mainmise syrienne sur le Liban il y a trente ans avant de la gérer d’une main de fer, affirme qu’il ne s’est jamais véritablement opposé qu’à ceux qui faisaient preuve de complaisance à l’égard d’Israël et ceux qui à l’époque fondaient des espoirs sur l’État hébreu pour la solution de la question libanaise. Voici la teneur de l’interview :
Question : Que pouvez-vous nous dire sur votre déposition devant la commission d’enquête de l’ONU ?
Réponse : « J’ai rencontré Detlev Mehlis durant plus d’une heure. Il m’a posé un certain nombre de questions et je lui ai fourni les informations qui étaient en ma possession. Je ne lui ai pas demandé ce qu’il avait comme éléments d’information et ne lui ai pas demandé ses impressions sur ce que je lui ai dit. Il est naturel que le caractère secret de l’enquête nécessite que je ne parle pas de la teneur de cet entretien. Q – En tant que rassembleur des forces d’opposition syriennes, d’organisations et d’individus qui réclament un véritable changement en Syrie, quelles sont vos chances de succès et quels sont vos alliés dans cette bataille ?
R – « Mon grand allié est le peuple syrien qui subit une situation extrêmement dure du fait des énormes erreurs commises par le régime aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Des contacts sont actuellement en cours avec un certain nombre de forces et de personnalités syriennes. C’est à la lumière de ces contacts qu’il sera procédé à la définition des méthodes d’action et de collaboration. L’important étant de procéder au changement dans le cadre d’un régime démocratique qui rétablirait les libertés publiques et garantirait au peuple syrien le choix de son leadership. » Confiance dans l’avenir
Q – Vous vous êtes prononcé contre le recours à un coup d’État et à l’usage de la violence, évoquant une mobilisation et une action de masse du peuple syrien. Peut-on alors parler, dans votre cas, d’un mouvement à l’ukrainienne ou même à la manière libanaise, comme nous l’avons vu récemment? De tels mouvements sont-ils possibles en Syrie et quel en serait le prix s’il y avait une répression ?
R – « Il y a aura une expérience syrienne propre et spécifique à notre pays qui ne ressemblera pas à une autre. Elle fera l’objet d’une discussion avec les états-majors politiques syriens, dans le pays même et à l’extérieur. Je suis optimiste à cet égard et je suis confiant dans l’avenir. Pour l’instant, l’autorité et le pouvoir en place sont désemparés. Je pense que la pression s’accentuera encore sur eux en raison des erreurs successives commises. »
Q – Qu’en est-il de votre statut actuel en France, êtes-vous un simple visiteur actuellement et serez-vous appelé un jour à demander l’asile politique dans ce pays ?
R – « Cette question n’est pas un objet de discussion. Je ne demanderai rien et nul ne m’imposera quoi que ce soit. Je n’ai eu aucun contact avec une instance responsable en France. »
Q – Comment pouvez-vous rassurer les Libanais quant à une normalisation des relations entre nos deux pays sous un régime dirigé par vous, et quelle est votre position à l’égard de l’instauration de relations diplomatiques entre Beyrouth et Damas et le tracé de la frontière entre les deux pays ?
R – « Je ne cherche pas à être à la tête d’un nouveau pouvoir en Syrie. Ce que je souhaite vivement, c’est que la Syrie recouvre son rôle national, et qu’elle se relève et surmonte ses épreuves aussi bien au niveau économique que dans les domaines politique et social. Le nouveau régime attendu en Syrie entreprendra, conformément à la volonté de l’ensemble du peuple syrien, de renforcer les liens entre les deux peuples. De quelle manière et comment ? Ce n’est pas moi qui déciderai, mais les gouvernements syrien et libanais. Tous les Syriens souhaitent tout le bien pour le Liban car un Liban fort et assaini sera un soutien pour la Syrie, et une Syrie renforcée constituera un appui considérable pour le Liban. « Personne en Syrie ne veut revivre l’expérience que nous a fait vivre le système sécuritaire au Liban car il n’y aura pas de système sécuritaire syro-libanais mais un système et une autorité en Syrie qui n’auront aucune visée pour une mainmise sur le Liban. »
Q – Comment pouvez-vous rassurer les Libanais sur le fait qu’un régime syrien nouveau, dont vous serez au moins le parrain, va traiter avec eux sur les bases des beaux principes que vous venez d’évoquer; sachant que vous êtes toujours le même Abdel Halim Khaddam rigide, ferme et sévère qu’ils avaient connu ?
R – « Je ne voudrais pas évoquer la situation au Liban dans ses phases antérieures. Je n’ai pas l’intention d’ouvrir des dossiers d’ici et de là. Mais j’écrirai et publierai prochainement mes Mémoires qui porteront également sur le Liban durant la période où je supervisais le dossier libanais. Après la lecture de ces Mémoires, que chaque Libanais donne son avis et exprime ses convictions. Que ceux qui étaient en désaccord avec moi se demandent quelles étaient les causes de nos différends. J’ai eu des désaccords avec des Libanais à cause d’Israël. Dois-je dire que je me suis trompé en m’opposant à eux alors qu’ils collaboraient avec Israël ? Je ne veux pas citer des noms ni rouvrir des dossiers, surtout dans les circonstances que traverse actuellement le Liban. Mais les choses se clarifieront plus tard, dans d’autres circonstances et conditions. « Mes Mémoires seront éditées dans quelques mois et j’ai promis à Ghassan Tuéni de lui accorder la priorité pour leur publication en feuilleton. »
Q – Qu’en est-il d’une éventuelle collaboration entre vous et les Frères musulmans ? Comment pouvez-vous rassurer les Libanais qui craignent qu’une telle coopération n’aboutisse à une dérive islamiste que personne ne souhaite ?
R – « Vous demandez en tant que Libanais qu’il y ait en Syrie un régime qui n’intervienne pas dans les affaires intérieures libanaises. Mais en contrepartie, il ne faut pas que les Libanais s’ingèrent dans les affaires intérieures de la Syrie. Les Frères musulmans constituent un mouvement politique qui a son histoire en Syrie. Nous nous sommes affrontés en raison d’erreurs commises de leur part aussi bien que de la part des baassistes. Aujourd’hui, la Syrie a besoin de chacun de ses fils pour entreprendre la reconstruction du pays et faire face aux dangers qui le guettent. Toutes les forces politiques et potentialités en Syrie sont invitées à coopérer et il importe d’enterrer les querelles du passé. Je n’exclus personne et n’ai aucune réserve à l’égard de qui que ce soit tant que l’objectif commun est de servir la Syrie. »
Q – Quel est le message que vous aimeriez adresser aujourd’hui au peuple libanais, éventuellement pour le rassurer et le convaincre ?
R – « Mon message sera en fait un appel à l’ensemble du peuple libanais pour qu’il sauvegarde son unité nationale et fasse de cette unité la priorité des priorités. Que votre unité nationale soit votre principale préoccupation. Ne laissez aucune marge pour des divergences quelconques sur cette question. Quiconque adoptera des attitudes qui ne servent pas cette unité nuit à son pays et à lui-même. Toute divergence actuelle ne peut être que marginale par rapport à l’unité du pays. « Je voudrais affirmer maintenant que tous les Syriens sont inquiets de tout ce qui nuirait à la sécurité et à la stabilité du Liban. « Il importe également que des politiciens ou d’autres personnes au Liban ne fassent pas assumer au peuple syrien et aux Syriens du Liban la responsabilité de fautes commises par certains responsables des services de sécurité lors de leur présence au Liban. »