M. Khaddam : « Des dirigeants de l’armée syrienne savent que le régime est fini »

publisher: le Monde

AUTHOR: Christophe Ayad

Publishing date: 2011-11-12

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M. Khaddam : « Des dirigeants de l’armée syrienne savent que le régime est fini »

Depuis Paris, l’ancien vice-président syrien Abdel Halim Khaddam tente de fédérer les mouvements d’opposition et appelle à une intervention internationale.

Par Christophe Ayad

Abdel Halim Khaddam vit en France depuis l’automne 2005. C’est à cette date que l’ancien vice-président syrien a fait défection, quittant son pays et rompant avec le régime de Bachar Al-Assad. Au début de son séjour parisien, il avait accusé, lors d’un entretien télévisé, le chef de l’Etat syrien d’avoir ordonné l’assassinat de Rafic Hariri, l’ancien premier ministre libanais tué dans un attentat le 14 février 2005. Mais depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, qui avait décidé en 2007 de renouer avec la Syrie de M. Assad, à rebours de la politique menée par Jacques Chirac, Abdel Halim Khaddam était astreint à un strict devoir de réserve.

Les temps ont changé et Paris, en pointe dans la dénonciation des exactions en Syrie, a levé toute obligation de réserve. Cette semaine, M. Khaddam est donc sorti du silence, multipliant les prises de parole. Signe supplémentaire du changement d’attitude de la France à son égard : la protection policière devant son luxueux domicile du 16e arrondissement de Paris, où il a reçu Le Monde, a été nettement renforcée.

L’entrée en scène de M. Khaddam, 79 ans, n’est une bonne nouvelle ni pour le régime syrien, ni pour l’opposition. C’est un homme qui connaît les arcanes du pouvoir baasiste pour l’avoir servi pendant trente-cinq ans, d’abord sous Hafez Al-Assad puis sous son fils Bachar : M. Khaddam, qui connaît le régime de l’intérieur et le juge « irréformable », y a conservé des relais, notamment dans le parti Baas. « L’armée est déployée dans tout le pays depuis neuf mois, les officiers sont épuisés. Je reçois des informations, explique-t-il, sur les inquiétudes des dirigeants de l’armée. Ils savent que le régime est fini et se demandent où toute cette répression féroce va conduire. Ils se demandent de plus en plus pourquoi lier leur destin à la famille Assad. Bachar (Al-Assad) est inquiet, il ne passe pas deux nuits de suite au même endroit », assure M. Khaddam.

« C’EST BACHAR AL-ASSAD QUI DÉCIDE DE TOUT »

Pour lui, le pouvoir, en Syrie, n’est exercé que par une poignée d’hommes : « C’est Bachar Al-Assad qui décide de tout. Il est aidé par son frère Maher, son cousin Rami Makhlouf et une poignée d’officiers des services de renseignements, tous issus de la communauté alaouite. Tous les autres sont des exécutants, des auxiliaires ou des propagandistes, ils sont gouvernés par la peur. Le Baas ne sert plus à rien depuis longtemps. Mais comme tous les régimes totalitaires, le régime syrien est moins solide qu’on ne le pense. »

L’ancien vice-président, qui a longtemps dirigé la politique étrangère de son pays sous le règne de Hafez Al-Assad (1970-2000), dispose d’un carnet d’adresses international fourni et, notamment, de relais en Arabie saoudite. Il dit également être en contact indirect avec les dirigeants de l’Armée syrienne libre, qui regroupe des déserteurs et multiplie les embuscades contre les forces de l’ordre et les chabiha – les milices du régime – à l’intérieur du pays. Pour autant, la Syrie n’est pas, pour lui, encore entrée « en guerre civile ».

Son profil d’ancien baasiste peut encourager des cadres du régime à prendre leurs distances. D’autant que M. Khaddam affirme vouloir tout faire pour « préserver l’Etat syrien, contrairement à ce qui s’est passé en Irak, où le démantèlement de l’Etat, du parti Baas, de l’armée et des institutions ont entraîné le chaos et les massacres. » Mais le passé d’Abdel Halim Khaddam, qui a servi, sans mot dire, pendant trois décennies et demie la dictature des Assad, ne manque pas de susciter sarcasmes et méfiance au sein de l’opposition syrienne. « Je regrette d’avoir participé à ce régime, plaide-t-il, et chaque fois que j’y repense, je ne peux m’empêcher de ressentir un malaise. Mais je m’occupais de politique étrangère et non intérieure. Si j’ai porté préjudice à un seul citoyen syrien, je suis prêt à en répondre devant les tribunaux. »

Il reste que l’entrée en scène de M. Khaddam complique un peu plus la donne d’une opposition déjà divisée. L’ancien haut responsable sponsorise en effet le Conseil national de soutien à la révolution syrienne, dont la naissance a été annoncée à Paris lundi 7 novembre. C’est une structure de plus, qui vient s’ajouter au Conseil national syrien (CNS), l’instance la plus représentative présidée par Burhan Ghalioun, un universitaire respecté vivant en France, et le Comité national de coordination pour le changement démocratique, basé en Syrie. Alors que le CNS milite pour la chute du régime et pour une « protection internationale » du peuple syrien, le Comité national de coordination continue de vouloir dialoguer avec le pouvoir et rejette toute ingérence étrangère.

L’OMBRE DE L’IRAN

Qu’apporte de nouveau le Comité national de soutien à la révolution syrienne, lancé par M. Khaddam ? Ce dernier a beau souligner que cette structure est « au service de la révolution » et veut « unifier les différents courants de l’opposition », il ne manque pas de reprocher au CNS d’être « dominé par les Frères musulmans ». Une remarque qui ne manque pas de sel quand on se souvient que M. Khaddam s’était allié aux Frères musulmans en 2006 en vue de renverser le régime de Damas, avant que ceux-ci ne prennent leurs distances.

 

La structure fondée par M. Khaddam appelle, pour sa part, à « une intervention militaire étrangère, seul moyen de mettre fin au bain de sang et de venir à bout du régime rapidement ». Cette position maximaliste colle aux attentes des manifestants, en particulier dans la ville martyre d’Homs, épuisés par les massacres et la répression qui ont causé plus de 3 500 morts en Syrie selon les Nations unies. Malgré tout, la question d’une intervention militaire reste explosive au sein de l’opposition.

Pour M. Khaddam, l’enjeu dépasse largement les frontières syriennes : « Si l’Occident abandonne la Syrie à Bachar Al-Assad et ses alliés iraniens, il portera la responsabilité de la domination iranienne sur toute la région, de l’Irak au Liban, aux territoires palestiniens et même au Golfe, où Téhéran entretient des agents dormants. Alors, l’Iran dominera la majeure partie des réserves mondiales de pétrole et sera en mesure de dicter les prix », met-il en garde.

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