Épisode 1 : Hafez al-Assad reçoit prudemment la première lettre de Saddam, le met à l’épreuve avant de répondre

publisher: الشرق الأوسط

Publishing date: 2021-06-27

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Dans le milieu des années 1990, le président irakien de l’époque, Saddam Hussein, a initié deux canaux de communication secrets avec son homologue syrien, Hafez al-Assad. Cependant, ce dernier avait des « doutes » quant aux intentions de Saddam, en se basant sur les expériences passées et son rôle dans le contrecoup de la mise en œuvre de la « Charte d’Action Nationale Commune » entre la Syrie et l’Irak en 1979.

Ainsi, il a soumis Saddam à plusieurs tests pour préparer le terrain avec les pays arabes et l’opposition irakienne, avant de prendre des mesures publiques pour mettre fin à l’hostilité entre le régime baasiste à Bagdad et Damas, en échangeant des messages secrets, que Asharq Al-Awsat révèle pour la première fois.

Ces lettres font partie des nombreux documents que le défunt Vice-Président syrien Abdel Halim Khaddam a emportés de son bureau à Paris, lorsqu’il a quitté la Syrie en 2005 et a annoncé sa défection du régime à la fin de cette année-là. Asharq Al-Awsat a contacté l’envoyé irakien, l’Ambassadeur Anwar Sabri Abdul Razzaq Al-Qaisi, qui a confirmé l’authenticité des documents.

Dans ses premières lettres en août 1995, Saddam s’est précipité pour rouvrir les deux ambassades qui avaient été fermées en 1982, organiser des réunions politiques de haut niveau et publiques et ouvrir les frontières. Cependant, Assad a décidé de tenir des consultations arabes avant de répondre concrètement aux propositions du président irakien, afin d’assurer « la réalisation des intérêts de la nation arabe et des deux pays fraternels », selon Khaddam.

En août 1995, l’ambassadeur irakien, Rafeh al-Tikriti, a demandé une réunion avec l’ambassadeur syrien Abdulaziz al-Masri, qu’il a rencontré le même jour et informé qu’il avait reçu un message personnel de son leader, Saddam, à transmettre à Assad.

La lettre disait : « J’affirme que la démarche que nous entreprenons envers la Syrie dans le but de construire la confiance et le rapprochement entre les deux pays est très sérieuse, et que toute sensibilité passée ne se reproduira pas. Les expériences du passé ont leurs propres circonstances. Nous devons les oublier et recommencer avec des cœurs ouverts pendant cette période dangereuse. »

Fin août 1995, Anwar Sabri Abdul Razzaq Al-Qaisi, l’ambassadeur irakien au Qatar, a contacté le Directeur Général de l’Organisation Arabe de Développement Agricole, Yahya Bakour, lui demandant d’informer Damas de son désir de rendre visite avec un autre message de Saddam.

Khaddam a raconté : « Assad a discuté des deux lettres avec moi et le ministre des Affaires Étrangères Farouk Al-Sharaa, et a décidé d’accepter la présence secrète de l’ambassadeur irakien et de limiter ses contacts avec moi. La préoccupation était de s’assurer que les contacts se fassent avec l’ambassadeur irakien au Qatar et non à Ankara, pour de nombreuses raisons, dont la sécurité des informations, en raison de la possibilité que les ambassades (syrienne et irakienne) à Ankara aient été infiltrées par plusieurs services de renseignement… »

« Le 5 septembre 1995, j’ai reçu Anwar Sabri Abdul Razzaq en soirée. C’était une réunion cordiale au cours de laquelle nous avons passé en revue les relations entre les deux pays et le rôle de Bagdad dans la perturbation de ces relations, y compris le prétendu complot en juillet 1979. »

Khaddam a cité l’ambassadeur irakien lui disant : « Chaleureuses salutations du président irakien au président Hafez et à vous. Saddam insiste sur le fait que le désir de l’Irak de rétablir des relations normales avec la Syrie n’est pas dû à la pression américaine et à une insistance intentionnelle pour continuer le siège. Ce désir découle plutôt de considérations liées à la sécurité nationale arabe et aux intérêts fatidiques. »

L’ambassadeur a ajouté que Saddam croyait que le schéma américano-sioniste était évident, et que la Jordanie en était devenue une partie.

Le schéma vise à nuire non seulement à l’Irak, mais aussi à la Syrie et à tous les intérêts arabes, et l’objectif n’est pas d’affaiblir et de diviser l’Irak, mais plutôt d’envahir politiquement, militairement et économiquement la région arabe, a déclaré l’ambassadeur irakien à Khaddam.

On citait également Saddam comme disant que l’Irak cherchait, avec un esprit ouvert et des intentions sincères, à dialoguer avec toutes les parties arabes, sans exception, afin de clarifier la situation et de conclure une réconciliation arabe sur des objectifs définis.

Khaddam a dit : « J’ai présenté la lettre au président Hafez, et il l’a discutée longuement avec moi à la lumière du sombre passé des relations entre les deux pays. Néanmoins, il a vu que la réponse devait être positive et amicale, dans laquelle il demanderait une réunion pour tester la sérieux de la position irakienne. »

Le 13 septembre 1995, le vice-président syrien a reçu l’ambassadeur irakien et lui a dit ce qui suit : « Le président Hafez affirme que la situation que traverse la nation arabe et les menaces auxquelles font face l’Irak et la Syrie nécessitent que les deux parties prennent l’initiative, sans délai, de surmonter les obstacles et les différences et d’arrêter la détérioration… »

« Le principal danger est le rôle jordanien, qui, comme nous l’avons dit plus tôt, est devenu une partie majeure de la stratégie américano-sioniste… Il est donc important de rétablir des relations normales à ce moment particulier entre les deux pays fraternels – l’Irak et la Syrie – qui sont capables de construire une position arabe unifiée et efficace pour faire face aux défis… »

Selon Khaddam, l’ambassadeur irakien a reçu la lettre avec une grande satisfaction, et semblait très excité pour son retour immédiat en Irak.

Le 19 septembre, l’ambassadeur irakien à Ankara a rencontré son homologue syrien, et lui a fait savoir que Bagdad avait reçu avec satisfaction la réponse de la direction syrienne, et que c’était au président syrien de déterminer la nature, le niveau et l’étendue du dialogue et de la coopération.

Khaddam a raconté : « Pour nous, la situation était inquiétante en raison de l’action américaine et jordanienne d’une part, et des expériences passées avec la direction irakienne et l’amertume et la douleur que nous avons vécues… De plus, le rapprochement rapide, sans aucune préparation arabe, conduira à la confusion dans nos relations arabes et à la tension avec le mouvement nationaliste au sein de l’opposition irakienne… »

Le 2 février 1996, il a reçu Anwar Sabri, qui a transmis un message de Saddam, disant : « La poursuite du siège de l’Irak, sous prétexte que le pays ne se conforme pas aux résolutions internationales, pose plus qu’un défi… La situation que traverse actuellement la nation arabe ne constitue pas seulement une menace pour la sécurité nationale arabe, mais aussi pour les positions et l’avenir de l’identité arabe, à travers les propositions du concept du Moyen-Orient, qui a été adopté et soutenu par plus d’un pays arabe. »

L’ambassadeur a ajouté : « Le président Saddam insiste sur le fait que ce qui est exigé de l’Irak et de la Syrie, les deux piliers de la nation arabe à cette étape, est de se déplacer rapidement et avant qu’il ne soit trop tard, pour arrêter l’état de détérioration arabe, grâce au rétablissement de relations fraternelles, quelle que soit la profondeur des différences… Le monde arabe est menacé de désintégration, surtout si nous surveillons les récentes déclarations américaines, qui ont trouvé le soutien d’une partie arabe qui est devenue une partie du schéma américano-sioniste, c’est-à-dire la Jordanie. Cette dernière a adopté l’idée de mettre en place une alliance militaire dirigée par l’Amérique, dans laquelle Israël, la Jordanie et la Turquie jouent un rôle, sous prétexte de protéger les gains de paix… »

Selon les procès-verbaux de la réunion, l’ambassadeur a dit : « Malgré les points positifs obtenus lors des réunions récentes entre l’Irak et la Syrie, le président Saddam croit qu’ils ne sont pas à la hauteur des défis auxquels nous sommes confrontés à cette étape. Ces défis sont représentés par le rôle jordanien suspect et la nature de l’alliance avec l’entité sioniste pour redessiner la carte des alliances dans la région. »

Par conséquent, Saddam, selon le message transmis par l’ambassadeur irakien à Doha, « suggère la nécessité d’ouvrir l’oléoduc qui passe par la Syrie, et de prendre des mesures techniques pour transformer cet oléoduc en l’un des cinq points de sortie sur lesquels l’Irak comptera pour exporter le pétrole lors de la mise en œuvre de la proposition des Nations Unies, ou après la levée du blocus, ainsi que pour que les ports syriens deviennent le port commercial de l’Irak. »

L’ambassadeur irakien a continué : « Le président Saddam suggère de toute urgence ce qui suit : rétablir les relations diplomatiques entre les deux pays fraternels ; initier des contacts politiques aux plus hauts niveaux pour déterminer les priorités de la construction des relations ; lancer des discussions sécuritaires entre les deux pays au niveau des chefs de la sécurité ; et ouvrir les frontières selon les procédures convenues par les deux parties. »

Khaddam a dit avoir transmis le message à Hafez al-Assad, qui était convaincu que la proposition de la direction irakienne était d’un grand bénéfice pour la Syrie, mais en même temps, il craignait un retrait irakien.

Il a rappelé : « J’ai convenu avec le président Assad de préparer un projet de réponse qui maintiendrait la voie du dialogue ouverte afin d’explorer la possibilité d’atteindre un accord sérieux d’une part, et de créer une atmosphère propice, notamment avec l’Arabie saoudite et le Koweït, qui ont été les plus touchés par l’invasion du Koweït et les plus sensibles parmi les États du Golfe à cette question, d’autre part. »

« Le 4 février 1996, j’ai soumis le projet de lettre au président, qui l’a approuvé, puis a convoqué l’ambassadeur irakien pour l’informer que M. le Président présente ses salutations à son frère le Président Saddam, exprime sa satisfaction à l’égard de son initiative et partage ses préoccupations concernant la situation dans la région et le complot visant à démanteler les Arabes et à abolir l’identité arabe (…) Après l’annonce du projet par le roi Hussein, nous en sommes venus à la conclusion qu’il était dans l’intérêt de la nation arabe d’établir des contacts avec un certain nombre de pays arabes (…) et nous avons ensuite reçu votre initiative. Par conséquent, dans les jours à venir, des contacts seront établis avec ces pays à un niveau élevé, dans le but de les convaincre de nos orientations susmentionnées. »

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