Ancien vice-président syrien Abd Al-Halim Khaddam : « Dans trois mois, je m’attends à ce que les dirigeants du régime syrien se retrouvent en prison. »
Voici des extraits d’une interview avec l’ancien vice-président syrien Abd Al-Halim Khaddam, diffusée sur la chaîne Al-Arabiya le 4 juillet 2011 :
Intervieweur : Comme le disent les observateurs, le facteur décisif dans les révolutions tunisienne et égyptienne a été l’armée, même si le peuple a joué un rôle majeur. En Tunisie, l’armée est restée neutre, et en Égypte, elle a pris parti pour le peuple. En Syrie, comme vous l’avez dit plus d’une fois, l’armée semble soutenir le régime. Cela signifie que tant que cela sera le cas, la révolution ne réussira pas.
Abd Al-Halim Khaddam : Cette armée ne restera pas dans sa situation actuelle. Elle ne continuera pas à être un instrument d’oppression et de meurtre. L’esprit de patriotisme sera ravivé parmi de nombreux officiers de l’armée. Cette armée ne persistera pas dans sa position actuelle. Le jour viendra bientôt où l’armée se retrouvera dans une impasse, sans autre choix que de retourner vers le peuple.
Intervieweur : Cette analyse est-elle un vœu pieux ou repose-t-elle sur des informations ?
Abd Al-Halim Khaddam : Ce n’est pas une analyse. Elle est basée sur ma propre connaissance de la structure de l’armée et des circonstances dans lesquelles se trouvent les officiers.
Intervieweur : Vos espoirs reposent-ils sur une scission au sein des rangs de l’armée ?
Abd Al-Halim Khaddam : J’attends non seulement des scissions. J’attends la désintégration de l’armée.
Intervieweur : Voulez-vous dire une scission le long de lignes sectaires ?
Abd Al-Halim Khaddam : Non.
Intervieweur : Le long de quelles lignes, alors ?
Abd Al-Halim Khaddam : Le long de lignes patriotiques.
Intervieweur : Vous dites donc que la région – Israël, par exemple – tolérerait une telle anarchie en Syrie, à sa frontière ?
Abd Al-Halim Khaddam : Israël ne peut rien faire de plus que ses efforts pour préserver le régime.
Intervieweur : Qui est derrière Israël ?
Abd Al-Halim Khaddam : Ses intérêts, car il pense…
Intervieweur : Non, certaines forces internationales adoptent le point de vue d’Israël et défendent sa sécurité.
Abd Al-Halim Khaddam : Un changement de régime entraînerait-il une guerre dans la région ? Absolument pas.
Intervieweur : J’ai eu une entrevue avec l’un des dirigeants des Frères musulmans, qui répétait que le régime syrien n’avait pas tiré un seul coup de feu sur Israël depuis 1973. Je lui ai demandé ce qu’ils feraient s’ils remplaçaient le régime, et il a dit : « Nous allumerons le plateau du Golan. » Que feriez-vous ? Vous êtes une autre forme d’opposition, composée d’anciens ba’athistes, voire de ba’athistes actuels. Allumerez-vous le plateau du Golan ou ferez-vous la paix avec Israël ?
Abd Al-Halim Khaddam : Permettez-moi de vous raconter quelque chose du passé. Après la guerre de 1973, lorsque le président Sadate a entrepris de faire la paix avec Israël, nous avons discuté de la situation, et nous avons été convaincus que ce ne serait pas facile pour nous de faire la guerre [à nouveau]. L’URSS n’a pas approuvé cela. L’Égypte était hors du jeu. Nous étions en pleine confrontation amère avec l’Irak. Une guerre civile faisait rage au Liban. Nous ne pouvions pas dire que nous ferions la guerre dans de nombreuses années à venir. Par conséquent, le président Hafez Al-Assad a décidé d’accepter l’Accord de désengagement, ce qui a abouti à un statu quo dans la région.
Intervieweur : Permettez-moi d’être bref avant la pause suivante. Vous suggérez que dans la Syrie de l’avenir, après le régime actuel, la situation restera la même, sans aucune confrontation militaire. Est-ce ce que vous dites ?
Abd Al-Halim Khaddam : Regardez, en ce qui concerne une confrontation militaire, de nombreux facteurs doivent être pris en compte : des facteurs nationaux, régionaux et internationaux.
Intervieweur : À votre avis, est-ce que tous ces facteurs mènent à maintenir la situation actuelle ?
Abd Al-Halim Khaddam : Les facteurs actuels indiquent qu’une solution militaire n’est pas une option pour le moment.
Intervieweur : En cas d’intervention militaire, pensez-vous qu’Iran n’interviendrait pas ?
Abd Al-Halim Khaddam : L’Iran serait sans aucun doute affecté par la chute du régime, car le régime syrien a permis à l’Iran de contrôler une région s’étendant de la mer Méditerranée à l’Afghanistan. La chute du régime entraînerait la libération du Liban et l’isolement du Hezbollah. L’Iran perdrait son atout palestinien, ainsi que son influence en Irak.
Intervieweur : Et donc ?
Abd Al-Halim Khaddam : L’Iran serait affecté, mais il ne ferait rien de plus que ce qu’il fait déjà. Il a déjà envoyé des détachements des Gardiens de la révolution islamique, des experts, des conseillers et de l’équipement.
Intervieweur : En avez-vous des preuves ? Le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Mu'alem, a récemment été interrogé sur cette question et il l'a catégoriquement nié, affirmant que l'Iran apportait un soutien politique à la Syrie. Croyez-vous cela ? Ils disent une chose et vous en dites une autre.
Abd Al-Halim Khaddam : Tout d’abord, croyez-vous ce que dit ce régime ? Il y a des événements dont tout le monde est témoin, et pourtant vous dites : « Ils disent une chose et vous en dites une autre. » Oui. Les gens ont vu des bus iraniens, remplis d’hommes armés, se diriger vers Hauran. À Jisr Al-Shughour, ils ont arrêté six Iraniens du CGRI…
Intervieweur : Ces six Iraniens étaient-ils sur le point de faire pencher la balance en Syrie ?
Abd Al-Halim Khaddam : Ils étaient là. C'étaient des experts en matériel militaire.
Intervieweur : Pensez-vous que le régime syrien a besoin de capacités militaires [iraniennes] ? Après tout, elle possède une armée énorme.
Abd Al-Halim Khaddam : Oui, cela nécessite une expérience du combat et une expérience de l’oppression…
Intervieweur : Le régime n’a-t-il pas sa propre expérience en matière d’oppression ?
Abd Al-Halim Khaddam : Pas de cette manière, avec l’armée entrant dans les villes, les bombardant avec des chars et des canons, violant tout ce qui est sacré et humiliant les gens. Une telle chose ne s’est jamais produite…
Intervieweur : Ne s’est-elle pas produite à Hama en 1982 ?
Abd Al-Halim Khaddam : Cela s’est produit à Hama, mais à ce moment-là, il y avait un problème entre le régime et le parti des Frères musulmans…
Intervieweur : Donc, c’est acceptable d’attaquer Hama si des membres des Frères musulmans s’y trouvent, selon vous ?
Abd Al-Halim Khaddam : Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit que c’est ce que le régime a fait. Néanmoins, il serait équitable, après la chute du régime, d’établir une commission d’enquête qui examinera la question de Hama, ainsi que la question de Tadmor [le massacre de la prison en 1980], et tiendra les personnes responsables de cette décision et de sa mise en œuvre.
Intervieweur : Lors de sa dernière conférence de presse, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Mu’alem, a été interrogé sur ce qu’il pensait qu’il se passerait dans trois mois, et il a dit qu’il s’attendait à ce que la Syrie devienne un modèle de démocratie. Que pensez-vous qu’il se passera en Syrie dans trois mois ?
Abd Al-Halim Khaddam : Je m’attends à ce que le chef du régime se retrouve en prison.