Durant l’été 1981, Israël abattit deux hélicoptères syriens dans la vallée de la Bekaa, au Liban, alors qu’ils étaient en mission de combat contre les Forces libanaises à Zahle et Sannine. La Syrie répondit en déployant des missiles anti-aériens SAM dans la région.
Le Premier ministre israélien Menachem Begin menaça de frapper ces missiles avec des « moyens spéciaux » à moins que Damas ne les retire. La situation militaire devint tendue et frôla la guerre, car la Syrie refusait de se conformer à la demande israélienne.
La situation fut comparée à la crise des missiles de Cuba entre les États-Unis et l’Union soviétique au début des années 1960, qui se termina par le retrait des missiles par Nikita Khrouchtchev.
Parallèlement, le bombardement par Israël du réacteur nucléaire irakien compliqua davantage les choses. Beaucoup estiment que cette crise a ouvert la voie à l’invasion du Liban par Israël l’année suivante.
Dans ce neuvième épisode des mémoires publiées par Asharq Al-Awsat, l’ancien vice-président syrien Abdel-Halim Khaddam raconte certains aspects de cette bataille diplomatique parallèle à l’escalade sur le terrain.
« La crise des missiles est survenue à un moment où la situation arabe connaissait de sérieuses divisions, un état de déclin et d’apathie, et une distraction des dangers principaux qui menacent la nation… Ici, je ne peux m’empêcher de souligner que cette position arabe, malgré les mauvaises conditions, a joué un rôle positif en exerçant des pressions sur les États-Unis. Le royaume d’Arabie saoudite, le Koweït, les Émirats et d’autres ont mené des activités de combat avec l’administration américaine… Le roi Khalid bin Abdulaziz a envoyé plusieurs lettres au président Ronald Reagan, l’avertissant des conséquences de soutenir Israël dans son attaque contre la Syrie, soulignant que l’Arabie saoudite et tous les Arabes se tiendraient aux côtés de Damas. »
Khaddam se souvient que le prince héritier saoudien Fahd bin Abdulaziz a commenté lors d’une interview de presse sur la crise des missiles : « Il ne fait aucun doute que la triste situation de la position arabe actuelle est la raison principale qui a encouragé Israël à intensifier ses opérations militaires contre les Palestiniens et les Libanais. La nation arabe a perdu le niveau minimum de solidarité qui avait été atteint au sommet de Bagdad en 1978, et c’est très dangereux. Depuis un certain temps, alors que nous, dans le royaume, avons été attentifs à la gravité de la situation, nous avons demandé et pressé la nécessité de réorganiser la maison arabe. Plus la position arabe se détériorait, plus Israël devenait agressif et arrogant… Nous, dans le royaume, saluons la résistance héroïque du peuple palestinien et libanais face à la machine de guerre israélienne, et soutenons la Syrie sœur dans sa position inébranlable et courageuse face à Israël. La grande responsabilité que Damas porte à cette étape, sous la direction du frère le président Hafez Al-Assad, exige notre soutien. La position syrienne exprime aujourd’hui la détermination de la nation arabe à ne pas permettre à Israël de dicter sa volonté, malgré l’absence de solidarité arabe. »
Le vice-président syrien affirme que le prince Fahd a tenu cette conversation en mai 1981 à l’agence de presse saoudienne, ajoutant que l’Arabie saoudite s’est activement engagée à résoudre la crise des missiles et que plusieurs messages ont été échangés entre le président Hafez Al-Assad et le roi Khalid.
Le texte qui suit est extrait d’une lettre envoyée par Assad au roi Khalid le 20 mai 1981, transmise par le frère du président syrien, Rifaat al-Assad.
« … Dans cette optique, Votre Majesté… a appris les conversations entre le président Al-Assad et l’envoyé américain Philip Habib lors des deux réunions précédentes. M. Habib nous a rendu visite pour la troisième fois le 19 mai 1981, et nous lui avons assuré d’un ton amical que nous étions déterminés à aider sa mission de réussir et que nous ne ménagerions aucun effort pour l’aider. Les demandes de Habib lors de sa dernière visite étaient les suivantes : Arrêter toute escalade militaire ; réduire les déclarations verbales car elles augmentent la tension psychologique ; revenir à la situation antérieure (c’est-à-dire le retrait des roquettes et le retrait des forces dissuasives de Sannine et Zahle) ; reprendre le travail pour relancer l’accord national au Liban… et réduire les actions palestiniennes le long des frontières libanaises. »
En ce qui concerne la réponse du côté syrien à Habib, Assad les détailla dans la lettre, disant :
« En ce qui concerne l’arrêt de l’escalade militaire, nous sommes d’accord, en gardant à l’esprit que les mesures que nous avons prises n’étaient qu’une réponse à l’action israélienne (…) Concernant la réconciliation nationale, nous sommes d’accord sur la nécessité de l’atteindre et nous nous efforçons de le faire, mais nous devons réaliser que l’ingérence d’Israël dans les affaires internes du Liban complique la situation (…) En ce qui concerne l’activité palestinienne, le sommet de Tunis, à la demande du Liban, a pris une décision à ce sujet, et les Palestiniens y sont liés ; cependant, le bombardement constant de leurs camps les force à agir (…) »
Assad a continué : « Concernant tout cela, nous sommes cohérents dans notre position. Nous ne voulons pas la guerre et nous n’œuvrons pas pour, mais nous refusons catégoriquement tout ce qui humilie les Arabes. C’est pourquoi nous soulignons l’importance d’une action arabe commune, que Votre Majesté a toujours appelée de ses vœux, surtout dans de telles circonstances critiques et délicates (…) Votre soutien est un facteur décisif pour développer la position en faveur des droits sacrés de la nation arabe, et la pression que vous exercez sur les États-Unis est très nécessaire pour que ces droits ne soient pas dénigrés. »
Khaddam dit qu’une session d’urgence du Conseil de la Ligue arabe au niveau des ministres des Affaires étrangères s’est tenue en Tunisie le 22 mai 1981, au cours de laquelle toutes les parties ont exprimé leur soutien à la position syrienne.
À la fin des discussions, le Conseil a adopté une résolution qui stipulait ce qui suit : « Le Conseil a discuté, dans un esprit élevé de responsabilité nationale, de la situation explosive dans la région, à la suite de l’escalade de l’agression d’Israël contre la nation arabe, de son ingérence dans les affaires internes du frère Liban, des bombardements brutaux des villes et villages libanais et des camps palestiniens… de ses attaques contre les forces dissuasives arabes et de ses menaces à l’égard de la Syrie. »
Selon le récit de Khaddam, le Conseil a décidé de faire face à la « théorie de la sécurité israélienne » avec tous les moyens disponibles et de soutenir la Syrie dans son opposition aux pratiques d’Israël.
« Le Conseil affirme qu’il se tient aux côtés de la Syrie dans sa réponse à l’agression et aux provocations d’Israël (…) À la lumière des informations actuelles… les pays arabes apporteront à la Syrie le soutien nécessaire pour repousser l’agression et mettront toutes leurs capacités au service de la bataille, y compris la participation de leurs forces militaires, conformément à la Charte de la Ligue des États arabes et au Traité de défense arabe conjoint. »
Le Conseil a également appelé à un cessez-le-feu immédiat au Liban et a exhorté les parties libanaises à parvenir à une réconciliation nationale.
« Le Conseil affirme son soutien aux efforts déployés par le président (Élias) Sarkis et le gouvernement libanais, en coopération avec le gouvernement syrien, pour parvenir à une réconciliation nationale conformément aux principes annoncés par le président de la République et approuvés par le gouvernement libanais, et il met en garde toute équipe libanaise contre l’entrave à la réconciliation nationale et contre l’utilisation de la carte israélienne pour entraver la marche vers un règlement », a déclaré le communiqué final.
Commentant la décision de la Ligue arabe, Khaddam dit : « Indéniablement, la décision est politiquement bonne et contient des textes forts… Nous avons veillé à ce que cette feuille de route soit rédigée pour plusieurs considérations, notamment celles liées à la mobilisation de l’opinion publique arabe… Cependant, dans cette crise, nous avons clairement démontré, sans laisser place au doute ou à la controverse, le danger de la paix avec Israël. » Le vice-président syrien poursuit : « Nous avons fait le meilleur usage de la relation arabe dans cette crise et l’avons transformée en un outil de pression sur les États-Unis… Nous avons également bien utilisé la carte soviétique, et avons mis l’Amérique dans une situation difficile… »