PARIS, 24 avril (UPI) – L’ancien vice-président syrien Abdel-Halim Khaddam, désormais en disgrâce auprès du régime du président Bachar el-Assad, s’est entretenu longuement depuis son exil à Paris avec Claude Salhani, rédacteur en chef international d’UPI. Il a mis en garde contre les intentions de Damas de faire échouer le tribunal international chargé d’enquêter sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri et ses projets de retour au Liban. Extraits de l’interview :
Q : Des élections ont eu lieu en Syrie dimanche. Quel est votre avis sur ces élections ?
R : Nous ne devrions pas les qualifier d’élections. La nature du régime transforme ces élections en une mise en scène. L’article 8 de la Constitution stipule que le Parti Baas dirige la société et les institutions du pays. Les résultats des élections sont préétablis, car le Parti Baas obtient toujours plus de 51 % des sièges au total. Certains sièges sont attribués aux membres du Front National et seulement 30 % des sièges sont réservés aux indépendants. Et même les indépendants ne sont pas vraiment indépendants. Donc il ne s’agit pas d’élections comme on les entend dans d’autres pays. Les résultats sont connus une semaine à dix jours à l’avance.
Q : Y a-t-il vraiment des élections libres dans le monde arabe ?
R : Vous avez dit que vous vouliez parler de la Syrie, pas du monde arabe.
Q : Voulez-vous dire que le parlement syrien est une chambre d’enregistrement ?
R : En fin de compte, cette chambre d’enregistrement est moins qu’une chambre d’enregistrement. Parfois, certains députés disent quelque chose qui contredit certains ministres. Ensuite, le président de la chambre les appelle à son bureau et leur demande de retirer leurs remarques ou leur immunité politique est levée et ils peuvent être poursuivis.
Q : Vous ouvrez un bureau à Washington. Qu’espérez-vous accomplir en le faisant ?
R : L’objectif du bureau est d’informer. Il sera là pour présenter les points de vue de l’opposition, d’abord au peuple syrien, puis pour informer l’administration américaine et les institutions américaines.
Q : Pour affronter le régime à Damas, vous avez conclu une alliance avec les Frères musulmans. N’est-ce pas potentiellement dangereux ? Si vous parvenez à vous débarrasser du régime actuel, les Frères musulmans voudraient établir un État islamique en Syrie.
R : Ce n’est pas l’objectif de l’opposition. L’objectif est d’établir un État démocratique en Syrie. Les principes ont déjà été établis et acceptés avec les Frères musulmans dans le cadre du pacte du Front National pour le Salut.
Q : Lors de la révolution iranienne de 1979, toutes les forces opposées au shah se sont unies dans leurs efforts pour le renverser. Pourtant, lorsque l’ayatollah Khomeini est arrivé au pouvoir, il s’est débarrassé de tous les autres groupes d’opposition. N’avez-vous pas peur que la même chose se produise en Syrie ?
R : Tout d’abord, c’est une situation différente. La Syrie est un pays modéré. Le peuple syrien est modéré. Les musulmans sont modérés et les chrétiens sont modérés. Les Syriens ne sont pas des extrémistes religieux. Le premier président du parlement après l’indépendance était chrétien. Il s’agit du deuxième poste le plus élevé après le président. La structure sociale en Iran est très différente de celle de la Syrie.
Q : Que pensez-vous du degré de connaissance du président Bachar el-Assad de ce qui se passe en Syrie ?
R : Il est au courant de tout.
Q : Diriez-vous donc qu’il est aux commandes ?
R : Tous les services de sécurité sont directement liés à lui.
Q : Êtes-vous d’accord avec la politique du président Bush de ne pas parler à la Syrie ?
R : Ce n’est pas à nous de fixer la politique des États-Unis. Nous encourageons toujours tous les pays à ne pas dialoguer avec le régime syrien actuel, car nous estimons que ce régime étouffe la population syrienne.
Q : Que pensez-vous de la visite de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, à Damas ?
R : Je ne pense pas que cela aura beaucoup d’effet sur la situation actuelle. Le régime de Damas a établi une stratégie politique. Cette stratégie est liée à l’Iran. Et elle est liée à la situation au Liban. La visite de Pelosi et celle d’autres personnes ne modifieront pas la politique de la Syrie.
Q : Que pensez-vous que la Syrie veut vraiment ?
R : Le premier objectif du régime actuel est de rester au pouvoir. Si vous me demandez ce que le peuple syrien veut, je dirais que le peuple syrien veut se débarrasser du régime.
Q : Selon vous, que cherche à accomplir le président Assad ? Quelles sont ses aspirations politiques ?
R : Tout d’abord, empêcher la création du tribunal international (pour juger le cas de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Hariri) et ensuite retourner au Liban.
Q : Permettez-moi de vous poser une question qui vous a certainement été posée de nombreuses fois : qui a tué Rafic Hariri ?
R : Je pense personnellement que l’appareil de sécurité très proche de Bachar el-Assad a perpétré l’assassinat, mais nous devrons attendre le résultat de l’enquête.
Q : Pensez-vous que le tribunal international aura lieu ?
R : Certainement.
Q : Voyez-vous un rôle pour vous-même dans la conduite de la Syrie en cas de changement de régime à Damas ?
R : Je ne cherche pas un rôle de premier plan. Tout ce que je veux, c’est que la Syrie soit libre et que de véritables institutions démocratiques soient établies. Et que le peuple syrien puisse choisir ses dirigeants.
Q : Quelle serait la première chose que vous feriez si vous étiez au pouvoir ?
R : Nous promulguerions une nouvelle loi électorale, nous libérerions tous les prisonniers politiques, nous autoriserions les partis politiques, la liberté de la presse, nous organiserions des élections dans les six mois, nous inviterions tous les exilés à revenir et rédigerions une nouvelle constitution.
Q : Si vous étiez au pouvoir, seriez-vous prêt à discuter de la paix avec Israël ?
R : Nous soutenons pleinement l’initiative de la Ligue arabe (présentée par le roi Abdullah d’Arabie saoudite).
Q : Pensez-vous que la paix au Moyen-Orient est possible tant que le président Bush est au pouvoir ?
R : Depuis que je suis devenu ministre des Affaires étrangères en 1974, on nous a toujours dit qu’il fallait attendre les prochaines élections présidentielles (américaines). La question ne concerne pas les élections mais la politique des États-Unis à l’égard du Moyen-Orient.