Deux Mois Après le Cessez-le-feu : Saddam Se Focalise sur Assad
Environ deux mois après le cessez-le-feu marquant la fin de la guerre Iran-Irak, en novembre 1988 précisément, et selon un compte rendu de réunion retrouvé dans les archives officielles syriennes, Saddam Hussein reçut une délégation d’avocats arabes. Lors de cette rencontre, il ignora l’Iran et concentra plutôt sa campagne contre Hafez al-Assad, affirmant que « le régime en Syrie s’était rangé du côté de l’ennemi et de l’occupant envahisseur » (en référence à l’Iran). Sur un ton de reproche, il interrogea la délégation sur leur proximité avec la Syrie, déclarant :
« Vous ne nouez pas de relations avec le peuple ou la géographie, mais plutôt avec le régime en place. Les dirigeants de la Syrie ont-ils changé de pensée ? Cette position a duré huit ans (le soutien de la Syrie à l’Iran), et non pas une semaine, pour que l’on puisse dire qu’il s’agissait d’une erreur ou d’un moment de faiblesse, n’est-ce pas ? »
« Al-Majalla » rapporte également qu’après la guerre contre l’Iran, Saddam se concentra sur le renforcement de son pouvoir intérieur, tenta de former une alliance quadripartite avec l’Égypte, la Jordanie et le Yémen, intensifia la pression sur son rival baassiste Hafez al-Assad, et entreprit des démarches de réconciliation avec les États du Golfe.
Notamment, Saddam parla aussi de « non-ingérence dans les affaires internes », appelant les Arabes à « mobiliser leurs armées pour combattre l’Irak si celui-ci attaquait un autre pays arabe ou s’ingérait dans ses affaires ». Cette déclaration fut faite près de deux ans avant l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990.
La Prudence d’Assad
Les craintes syriennes à l’égard de l’« alliance quadripartite » étaient fondées. Selon un document analysant ce bloc – obtenu par Al-Majalla dans les archives du vice-président syrien Abdel Halim Khaddam, qu’il emporta avec lui à Paris en 2005 – Damas prévoyait que « ce conseil engendrerait une série de crises dans la région arabe, car trois de ses membres nourrissent des ambitions vis-à-vis de l’Arabie saoudite et du Koweït ». De plus, les membres de cette alliance n’avaient aucun lien géographique direct, et des différends frontaliers persistaient entre certains d’entre eux et leurs voisins.
Le document cite également un dirigeant du Golfe exprimant sa surprise face à la situation :
« Nous avons été très étonnés. (Feu le roi de Jordanie) Hussein nous a rendu visite – comme il le fait souvent, parfois plusieurs fois par mois. Nous étions informés de cette alliance, et je m’attendais à ce qu’il en parle, mais il n’en a pas dit un mot. J’ai trouvé cela étrange et me suis demandé pourquoi il n’en avait pas discuté avec nous. Ils ont affirmé qu’il s’agissait uniquement d’une alliance économique, et nous avons répondu : ‘Très bien.’ »
Cependant, l’envoyé d’Assad rétorqua :
« Il n’y a ici ni facteurs économiques ni liens géographiques – seulement des objectifs politiques. »
La Position du Roi Hussein
Al-Majalla rapporte qu’Assad interrogea le roi Hussein sur la position des États du Golfe. Ce dernier répondit :
« J’ai visité certains pays du Golfe et j’ai volontairement voyagé seul pour ne mettre personne dans une position inconfortable. Au Koweït, l’émir Jaber nous a fait des reproches, estimant que nous menons un train de vie trop élevé, alors qu’ils considèrent que le développement et les grands projets sont inutiles. »
Le roi Hussein poursuivit ensuite ses efforts pour rassurer les États du Golfe, qui avaient commencé à exprimer des inquiétudes quant à l’Irak. Selon un compte rendu de réunion entre Assad et Hussein, le roi jordanien tenta de les convaincre que « l’Irak est une force pour ces États ».
Malgré toutes les assurances données par Hussein, Assad restait convaincu que le discours du roi « n’était pas sincère, car il ne correspondait pas à notre compréhension des motivations ayant conduit à la création de ce conseil ». Dès le début, Assad estimait que « cette alliance représenterait un problème pour les États du Golfe qui, semble-t-il, ont exprimé leurs inquiétudes tandis que le roi Hussein tentait de les rassurer ».
Par ailleurs, le roi Hussein avait précédemment confié au Premier ministre syrien à Amman :
« Il faut agir. Si nous pouvions unifier nos efforts dans cette région, ils (les États du Golfe) ne pourraient pas nous isoler et nous manipuler. Nous devons agir et compter sur nous-mêmes. Si la relation entre la Jordanie et la Syrie était aussi forte que celle entre la Syrie et l’Irak, ils n’oseraient pas agir comme ils le font actuellement. J’ai parlé au président Hafez de l’alliance économique, et la place de la Syrie y est assurée et prépondérante. Nous devons être prudents au début et la présenter comme un bloc économique. Ces pays nous offrent une profondeur stratégique. Nous avons des matières premières et des ressources humaines, et la place de la Syrie y est significative et essentielle. »
Semer le Doute Entre l’Arabie Saoudite et la Syrie
Le document révèle également une conversation entre le roi Hussein et Assad concernant la Conférence au sommet islamique tenue au Koweït. Saddam Hussein n’y assista pas, mais son vice-président y était présent. À la fin de la conférence, le roi Hussein prit à part le vice-président irakien Izzat al-Douri et lui demanda pourquoi Saddam Hussein ne s’était pas déplacé. Al-Douri répondit :
« Personnellement, je n’avais pas non plus l’intention d’y assister. »
Lorsque le roi le pressa d’expliquer cette décision, Al-Douri révéla qu’ils avaient reçu un télégramme en provenance d’Arabie saoudite leur demandant de ne pas participer, car le président Assad serait présent.
Le roi Hussein commenta alors :
« Ils ne veulent pas qu’il y ait de rencontre entre deux pays arabes quels qu’ils soient. »
L’analyse de la direction syrienne sur ces propos du roi Hussein remit en question les intentions de l’Arabie saoudite. Après tout, Riyad avait auparavant œuvré pour la réconciliation entre la Syrie et l’Irak.
La conclusion tirée d’un document syrien était que « l’objectif était d’instiller le doute entre la Syrie et l’Arabie saoudite et de fournir à l’Irak une justification pour l’absence de Saddam Hussein au Koweït – car il préparait un autre type de visite, qui se concrétisa le 2 août 1990 », en référence à l’invasion du Koweït par l’Irak.